Les éditions Idem redonnent vie à un livre précieux pour qui veut comprendre l’évolution de la société martiniquaise depuis 1848 : Le préjugé de race aux Antilles, de G. Souquet-Basiège. Une réédition préfacée par Germinal Pinalie. « Ce témoignage est écrit précisément au moment où les choses commencent de basculer et où s’inventent, parfois dans des oppositions brutales, comme par exemple autour de la laïcisation et de l’extension de l’éducation, les formes de la société antillaise moderne. »
Selon Germinal Pinalie, « Ce livre de G. Souquet-Basiège, dont l’histoire a égaré le prénom, est un assemblage un peu baroque d’une multiplicité d’entreprises. Le poids de l’ouvrage trahit la volonté de son auteur de tout dire d’une situation complexe. Tour à tour étude historique, chronique judiciaire, enquête sociologique, gazette mondaine et plaidoyer politique, le volume est d’abord un document précieux parce que rare, par-delà toutes ses caractéristiques étranges et ses défauts. Nous n’avons que très peu d’études de ce type sur la société antillaise écrites dans la période suivant immédiatement l’abolition de l’esclavage de 1848, et retraçant la mise en place des structures démocratiques de la IIIème République. Subjectif, politiquement situé, parfois franchement biaisé, le point de vue de G. Souquet-Basiège n’en est pas moins placé en intériorité par rapport à son sujet, et mérite d’être envisagé comme tel.
L’auteur est un « blanc » puisqu’il l’écrit ainsi sans majuscule, ou en tout cas se pose comme tel, et décrit la société antillaise comme divisée en « blancs », « noirs » et « gens de sang-mêlé ». Il évoque lui-même assez précisément l’arrivée de travailleurs agricoles recrutés en Inde et d’autres individus venus de toutes sortes de possessions et comptoirs français. Même si son analyse est structurée par le racisme qui organise encore la société post-esclavagiste, l’auteur veut prouver que les tensions internes à « sa » société ne sont pas d’abord raciales mais sociales ou politiques. Qu’il y parvienne ou non est une autre affaire, mais cette donnée de départ suscite la curiosité. En comparant la Martinique de la fin du XIXème siècle à la France métropolitaine ravagée par la guerre civile et les luttes de classes, G. Souquet-Basiège nous fournit la grille de lecture qui permet d’utiliser son livre comme un document, il nous donne la clé de compréhension à même de percer la couche idéologique « raciale ».
Extrait
« L’histoire de la société coloniale, de ses origines, de son développement à travers deux siècles, de ses dissensions, manque encore à notre pays. Répugnant par nature aux explications toutes faites, j’ai voulu me rendre compte d’un antagonisme où les souvenirs de l’esclavage et de lois d’exception se confondent avec les ressentiments laissés par les luttes civiles. C’est le résultat de cette étude que je livre aujourd’hui au jugement de mes concitoyens, en leur demandant d’avoir pour mes intentions une justice égale à mon affection pour tous. Au milieu des passions actuelles j’ai essayé de m’isoler comme un spectateur étranger, et j’ai écrit avec impartialité l’histoire épisodique de nos discordes civiles depuis trente-cinq ans. Cette tâche délicate, les circonstances ne semblaient pas la favoriser. J’ai persisté néanmoins. Dans le champ bien large ouvert devant moi, je n’ai tracé qu’un sillon ; d’autres viendront à leur tour et remueront plus profondément le sol. Puissent-ils y voir germer et fleurir la semence de concorde et de paix déposée au milieu de nous par l’Évangile ; et dont les générations à venir, plus heureuses peut-être, recueilleront la tardive moisson ! ». G. Souquet-Basiège Saint-Pierre (Martinique) 10 mai 1883.
Voici donc, telle qu’elle a été publiée en 1883, une des premières études des rapports de « races » et de classes dans la société post-esclavagiste des Antilles françaises. Document subjectif mais précieux qui tente de comprendre le changement provoqué par l’abolition de 1848.
Lire la préface de Germinal Pinalie ICI.
LE PRÉJUGÉ DE RACE aux Antilles, par G. SOUQUET-BASIÈGE,
préface de Germinal PINALIE.
Broché: 760 pages
Editeur : Idem; Édition : Réédition d’un ouvrage paru en 1883 en Martinique (2016)
ISBN-10: 2364300142
ISBN-13: 978-2364300149